La question des minorités et le statut des non-musulmans en Islam

This article is not available in English, but the French version is available

La fin de la première guerre mondiale a marqué un progrès dans le domaine de la protection des droits de l'homme en instituant le régime des "minorités".

Ainsi, cinq traités de minorités ont été conclus entre 1919 et 1920 par les Etats vaincus. Ces traités ont reconnu aux minorités certains droits, et ils les ont placé sous la garantie de la Société des Nations. Et, comme cette organisation avait le pouvoir de recevoir des plaintes, on a parlé des minorités comme possédant "la personnalité juridique internationale" [1].

En plus de ces traités des minorités, on trouve divers traités bilatéraux comme, par exemple, la convention germano-polonaise du 15 mai 1922. On peut également citer les dix déclarations unilatérales souscrites par l'Albanie, les Etats Baltes, la Finlande et l'Irak lors de leur admission à la Société des Nations. Tous ces textes concernant les droits des minorités protégeaient " l'homme en tant qu'appartenant à une certaine race, en tant que professant une certaine religion, en tant que parlant une certaine langue" [2]. Il s'agissait donc, d'une protection sélective.

Mais en s'intéressant à la question de la protection des minorités, on n'a pas cherché à définir le terme "minorité".

La question des minorités est devenue, après la 2ème guerre mondiale, un problème humanitaire s'insérant dans le domaine de la protection des droits de l'homme [3].

Mais la communauté internationale n'a pas réussi, à trouver une définition du terme "minorité", malgré les différentes tentatives internationales et européennes [4].

Je vais vous surprendre maintenant en disant que la notion de "minorité " n'existe pas dans la Charia ou le droit musulman, parce que qu'il n'y a pas une "majorité", d'une part.

D'autre part, il n'y a pas de distinction entre les habitants (résidents, migrants etc...) dans l'Etat islamique [5], et la seule distinction existe, dans la Charia, entre les musulmans et les non-musulmans. Ainsi, je vais vous exposer le statut des non-musulmans en Islam d'après les règles de la Charia.

Nous allons commencer par une brève présentation du droit musulman et ses sources (I), puis nous allons examiner le statut juridique des non-musulmans (II).

I. Le droit musulman et ses sources

Ce qui vient à l'esprit, à première vue, chaque fois que l'on évoque le droit musulman ou Charia, est l'aspect rituel de ce droit qui se traduit dans des actes de dévotion, ou 'ibâdat. Or, malgré leur importance capitale et leur signification dans la vie des musulmans, ces actes ne représentent qu'un seul aspect de l'Islam, son aspect spirituel. Un autre aspect important de cette religion monothéiste est d'ordre temporel [6].

Les relations du croyant avec Dieu constituent les droits de Dieu, hukuk Allâh.Les relations entre croyants constituent les droits de l'homme, hukuk al-'insân / hukuk al-'abd, indissociables d'une société donnée, compte tenu de tous les rapports économiques, politiques et culturels qui peuvent exister [7].

Le droit musulman organise toutes ces relations entre les croyants et leur Créateur et entre les croyants eux-mêmes. Ceci sans négliger les relations qui sont établies entre le souverain et ses ressortissants et entre l'Étatislamique et les autres États dans l'état de paix et de guerre. Or, le droit musulman comporte un ensemble considérable de règles, de conceptions, de sanctions et de garanties. Il s'agit d'une "théorie de droit complète et indépendante" [8], concernant la vie individuelle et collective.

Quant aux sources du droit musulman [9], nous pouvons distinguer entre les sources complémentaires, à savoir: Le Coran, la Sunna ou la tradition du Prophète Muhammad, le consensus général ou ijmâ, et le raisonnement déductif ou qiyâs. Et, les sources complémentaires, à savoir: l'opinion personnel ou ijtihâd, trouver le bien ou al-istihsân, l'intérêt général ou masalha, et la coutume [10].

Les travaux des oulémas musulmans [11] sur le statut des non-musulmans constituaient, selon le grand orientaliste Louis Massignon: "La naissance d'un embryon de Droit international public chez ces canonistes fondamentalistes, bien avant que Grotius y songe en Chrétienté" [12]).

Le statut des non-musulmans en Islam a été traité par ces oulémas musulmans sous l'angle de l'égalité. Un examen du statut juridique des non-musulmans est indispensable. Ce statut est régi, d'une part, par un certain nombre de dispositions du droit musulman et, d'autre part, par la place réservée pour ces non musulmans dans l'Etat islamique.

II. Le statut des non-musulmans en Islam

Au milieu du II siècle de l'hégire [13]/VII siècle de notre ère, les oulémas musulmans développaient des théories concernant le statut juridique des non-musulmans. Ces théories ont été considérées comme une révolution remarquable à cause de la tolérance et du traitement qu'elles préconisaient et dont les origines remontaient à l'avènement de l'Islam [14].

A. Le droit d'asile ou amân et dhimma

Si la majorité des oulémas musulmans est d'accord, dans ses études et travaux, sur l'existence en droit musulman de trois catégories de pays (Dar al-Islam, Dar al-Harb, Dar al-Sulh), il convient de faire une distinction entre les définitions données par les anciens et celles données par les contemporains:

  1. L'appellation de pays de l'Islam (Dar al-Islam): pour les anciens et les oulémas musulmans contemporains désigne les pays dans lesquels les principes de l'Islam sont respectés, les règles de droit musulman sont applicables, les musulmans sont en sécurité et ne sont menacés ni dans leur personne, ni dans leurs biens.
  2. Le pays de la guerre (Dar al-Harb) renvoie à un espace territorial dans lequel les principes et les règles de l'Islam ne sont, dans ce type de pays, ni respectés ni appliqués parce que l'autorité n'est pas entre les mains des musulmans, et les musulmans ne sont pas en sécurité [15].
  3. Le pays de traité (Dar al-'ahd/ Dar al-Sulh): pour les anciens oulémas, les musulmans n'exercent, dans ce troisième type de pays, aucune autorité, mais ils ont conclu un traité avec le gouvernement du pays. Dans certains cas et en vertu de ce traité, ce gouvernement paye un tribut aux musulmans.

Quelques oulémas musulmans contemporains sont d'avis que cette notion couvre en fait l'ensemble des pays non-musulmans aujourd'hui car des traités existent entre les différents pays du monde, ainsi que des relations diplomatiques, culturelles et commerciales régulières entre eux [16].

Nous pouvons ajouter, également, que les Etats sont liés entre eux par des traités bilatéraux et multilatéraux. Ils sont membres de différentes organisations internationales et sont supposés travailler ensemble pour la paix et la sécurité dans le monde, ce qui signifie que nous sommes donc en fait aujourd'hui face à deux catégories de pays: les pays dits de l'Islam et les pays dits de traité. Si un pays de traité déclare la guerre à un pays de l'Islam, l'envahit, occupe son territoire ou attaque sa population, il sera alors considéré, selon les critères du droit musulman classique, comme un pays en état de guerre, et le pays de l'Islam aura alors le droit de se défendre.

Dans le pays d'Islam, le Souverain, ou celui qui le représente, peut accorder une protection ou une sauvegarde amân à un non-musulman une fois que ce dernier pénètre dans ce Pays; on peut appeler cette protection: une protection officielle. Egalement un musulman, homme ou femme, adulte ou enfant, voir esclave, peut également accorder une telle protection à un non-musulman: c'est alors une protection non officielle. L'amân officielle ou non officielle couvre aussi la famille et les propriétés des non-musulmans.

Une fois l'amân accordé, le non-musulman s'appelle musta'man. Le musta'mân, donc, est un homme qui est entré dans le pays d'Islam, sans aucune intention d'y résider, pour une période limitée qui peut être renouvelée, pour faire du commerce, ou du tourisme, et en vertu du contrat qui s'appelle le contrat d'amân.

Cet amân nous rappelle ce que les juristes appellent aujourd'hui, le droit d'asile [17]. Ce droit qui trouve son fondement, en Islam, dans le Coran: "Si un polythéiste cherche un asile auprès de toi, accueille-le pour lui permettre d'entendre la Parole de Dieu; fais-le ensuite parvenir dans son lieu sûr" [18]. Et, les Docteurs musulmans sont d'accord pour dire que le gouvernement musulman, dans le Pays d'Islam, n'a pas le droit d'extrader le musta'man contre son gré, même pas en échange d'un prisonnier musulman [19].

Sans entrer dans le détail des conditions du contrat d'amân, sachons, à titre d'exemple, que le droit musulman s'applique aux affaires financières du musta'man.

Mais en tout état de cause, le musta'man doit toujours respecter les droits d'un musulman ou un autre musta'man ou dhimmi.

La condition la plus importante dans le contrat d'amân est que sa durée est limitée. L'amân n'est valable que pour un an [20] période qui peut être renouvelée, sans aucune obligation financière, mais à la fin de cette période le musta'man a le choix de quitter le pays d'Islam ou d'y rester. S'il choisit cette dernière solution, le musta'man devient un dhimmi et nous serons en présence d'un nouveau contrat: le contrat de la dhimma.

Le dhimmi est donc un non-musulman qui réside dans le pays d'Islam, ou dans les territoires conquis par les musulmans en vertu d'un contrat appelé le contrat de la dhimma. La dhimma a été définie comme "la convention en vertu de laquelle les non-musulmans résidant sur les territoires conquis par les musulmans obtiennent de ces derniers la reconnaissance de leurs droits publics et privés" [21].

Le contrat de dhimma, une fois conclu, est un contrat sans limitation de durée. Il n'est jamais abrogé même si le dhimmi est mort, car ses héritiers, après lui, sont engagés par le contrat. Dans ce cas, la dhimma passe aux descendants.

Le Coran parle d'une catégorie spéciale de non-musulmans "Les gens du Livre", c'est-à-dire les juifs et les chrétiens. "Dis: "Ô gens du Livre! Venez à une parole commune entre nous et vous: nous n'adorons que Dieu; nous ne lui associons rien; nul parmi nous ne se donne de Seigneur, en dehors de Dieu" [22]. "Les gens du Livre" sont les plus proches des fidèles de la religion musulmane: "Tu constateras que les hommes les plus proches des croyants par l'amitié sont ceux qui disent: "Oui, nous sommes Chrétiens!" parce qu'on trouve parmi eux des prêtres et des moines qui ne s'enflent pas d'orgueil" [23].

B. Les droits et les devoirs des non-musulmans

Les droits qui ont été accordés aux non-musulmans, individuellement et collectivement, ainsi que les devoirs exigés d'eux montrent que leur place n'est pas inférieure dans la communauté musulmane. Par ailleurs, ces droits et devoirs ont un caractère stable étant donné leur origine divine.

Nous pouvons faire une distinction entre les droits et les libertés des non-musulmans, d'un côté, et les devoirs des non-musulmans, d'un autre côté.

1. Droits et libertés des non-musulmans

Le droit à la vie est l'un des premiers droits reconnus aux non-musulmans. Le respect de la vie humaine est applicable sans aucune distinction entre musulman et non-musulman. On lit dans le Coran: "celui qui a tué un homme qui lui-même n'a pas tué, ou qui n'a pas commis de violence sur la terre, est considéré comme s'il avait tué tous les hommes; et celui qui sauve un seul homme est considéré comme s'il avait sauvé tous les hommes" [24].

La tradition du Prophète Muhammad et de ses compagnons confirment à plusieurs reprises cette attitude du respect de la vie humaine sans aucune distinction. Un jour le Prophète a dit: "Quiconque aura tué un tributaire protégé par un pacte, ne sentira pas l'odeur du Paradis, et pourtant, cette odeur se fait sentir à la distance de quarante ans de marche" [25]. Ou encore: "Quiconque fait du tort à un protégé me fait du tort" [26]. Ainsi, la vie du non-musulman est protégée en Islam, et le respect de sa dignité est toujours exigée sans aucune exception.

  1. Les libertés individuelles: Le non-musulman "jouit de la pleine liberté personnelle; sa vie et ses biens sont inviolables au même titre que ceux des croyants" [27]. Il a le droit d'aller et de venir en pays d'Islam avec toutes les garanties et les protections nécessaires [28].

    La question liée à cette liberté est de savoir si le non-musulman a le droit de pénétrer ou de visiter le territoire sacré, le Hedjaz, et les deux villes saintes: la Mecque et le Médine?

    Abu Hasan AL MAWARDI [29] a divisé le pays d'Islam en trois catégories:

    1. Le territoire sacré qui comprend: "La Mekke (La Mecque) et la région environnante à laquelle est aussi reconnu le caractère sacré". Et on appelle, aussi, le territoire sacré qui comprend: "L'Haram, la région entourant la Mekke dans les diverses directions".
    2. Le (Hedjâz) "d'après Açma'i, est ainsi dénommé parce qu'il établit une "séparation" entre le Nejd et la Tihâma, et, d'après (Hichâm) Ibn el-Kelbi, à raison des montagnes qui l'enserrent".
    3. "Les autres pays en dehors du Territoire sacré et du Hedjâz" [30].

    Les oulémas musulmans n'étaient pas d'accord concernant la réponse à notre question. Pour les rites Chafi'ite [31] et Hanbalite [32], le non-musulman n'a pas le droit de pénétrer dans le Hedjaz sauf une exception: "s'il vient, par exemple, en qualité d'ambassadeur ou s'il importe des objets de première nécessité" [33]. Le rite Mâlikite [34] a interdit l'accès du Hedjaz au non-musulman. Le rite Hanafite [35] a autorisé le non-musulman à pénétrer dans le Hedjaz. Quant au territoire sacré, les rites: Chafi'ite, Hanbalite et Mâlikite ont interdit au non-musulman d'y pénétrer, contrairement au rite Hanafite qui en a autorisé l'accès [36].

  2. Les libertés spirituelles: Les non-musulmans peuvent pratiquer en pays d'Islam leur liberté de conscience et de religion. On lit dans le Coran: "A vous votre religion; à moi , ma Religion" [37], ou encore: "Pas de contrainte en religion!" [38], ou encore: "Est-ce à toi (Muhammad) de contraindre les hommes à être croyants?" [39], car "Si Dieu l'avait voulu, il aurait fait de vous une seule communauté. Mais il a voulu vous éprouver par le don qu'il vous a fait" [40].
  3. Droits familiaux et statut personnel: Le droit musulman a reconnu aux non-musulmans leurs droits familiaux [41]. Le mariage conclu entre les dhimmis eux-mêmes, est valable aux yeux de ce droit. Le juge musulman veille à la pleine application d'un testament fait par un dhimmi au profit d'un autre dhimmi. L'héritage entre eux est régit par leurs droits. Les institutions charitables sont dirigées par eux et en vertu de leurs propres droits [42].

    Ainsi, l'Islam considère les non-musulmans comme un ensemble collectif qui jouit de ses: "libertés en ce qui concerne sa langue, son droit de famille, ses institutions de charité et d'enseignement, et même la justice en ces matières, tenues toutes pour ressortir de la loi de son Prophète, Moïse où Jésus, loi respectable, entraînant la nécessité du respect des libertés et des droits nécessaires à l'accomplissement du culte et des devoirs que la loi de ces deux Prophètes comporte" [43].

    Quelques points délicats restent à éclaircir concernant les droits familiaux des non-musulmans:

    1. Le mariage d'un non-musulman avec une musulmane. Le droit musulman a interdit ce mariage. On lit dans le Coran: "Ne mariez pas vos filles à des polythéistes, avant qu'ils croient" [44]. Par contre, le mariage d'un musulman avec une non-musulmane est acceptable. La majorité des oulémas musulmans ont admis ce mariage, mais ils l'ont limité à la condition que la non-musulmane soit parmi "les gens du livre", c'est-à-dire une juive ou une chrétienne. Le mariage avec une païenne n'est pas admis, car on lit dans le Coran: "Aujourd'hui, les bonnes choses vous sont permises. La nourriture de ceux auxquels le Livre a été donné vous est permise, et votre nourriture leur est permise. L'union avec les femmes croyantes et de bonne condition, et avec les femmes de bonne condition faisant partie du peuple auquel le Livre a été donné avant vous, vous est permise..." [45].
    2. Quel est le droit applicable en cas de conflit concernant le contrat du mariage entre non-musulmans? Les oulémas musulmans donnent l'exemple d'un mazdéisme qui se marie avec sa fille! Dans ce cas le conflit concernant le contrat de ce mariage doit être réglé en vertu du droit musulman. C'est l'avis de la majorité des oulémas musulmans. Abu Hanifa affirme qu'on doit appliquer les règles de la loi familiale de cette communauté des Mazdéismes. Il en serait ainsi, par exemple, d'un conflit à propos d'une pension. On ne doit pas intervenir dans ce conflit sauf si les non-musulmans s'adressent au juge musulman. Dans ce dernier cas on applique le droit musulman [46].
    3. Les successions des non-musulmans: les oulémas musulmans sont unanimes que le non-musulman n'hérite pas d'un musulman. Par contre, leur unanimité disparaît quand on demande si un musulman peut hériter d'un non-musulman? Les Imâms des quatre rites sunnites ont décidé que le musulman n'hérite pas d'un non-musulman d'après le hadith du Prophète Muhammad "Le musulman n'hérite pas de chef de l'infidèle, non plus que l'infidèle du chef du musulman" [47]. Contrairement à cette unanimité des quatre Imâms, d'autres oulémas musulmans n'étaient pas d'accord et ont admis que le musulman hérite d'un non-musulman. Quant aux non-musulmans de même religion, les oulémas musulmans ont admis la succession parmi eux [48], mais leur unanimité a disparu s'il s'agissait de la succession de non-musulmans de religion différente.

      L'humanisme musulman se manifeste à cette occasion quand Dieu a recommandé aux croyants de rédiger un testament au profit de leurs parents non-musulmans, comme ce fut le cas de beaucoup de musulmans à l'avènement de l'Islam quand les hommes se sont convertis à l'Islam et ce n'était pas le cas de leurs parents. On lit dans le Coran: "Voici ce qui vous est prescrit: Quand la mort se présente à l'un de vous, si celui-ci laisse des biens, il doit faire un testament en faveur de ses père et mère, de ses parents les plus proches, conformément à l'usage" [49].

  4. Le droit à la propriété: L'Islam garantit le droit du dhimmi à la propriété [50]. Ainsi les propriétés des non-musulmans doivent être protégées contre toutes sortes de violations. Et cela est vrai, aussi, en ce qui concerne les produits et les biens qui sont prohibés aux musulmans comme le vin ou le porc. Mais les non-musulmans sont soumis, comme les musulmans, aux règles du droit musulman en ce qui concerne la jouissance de la liberté "des conventions, du commerce et de l'industrie, à quelques exceptions près" [51], comme, par exemple, les opérations commerciales concernant le vin ou le porc. Ces opérations sont permises entre les dhimmis eux-mêmes, mais pas entre un musulman et un dhimmis.
  5. Les droits civils et politiques: Il faut, d'abord, chasser de l'esprit l'idée selon laquelle le non-musulman est un citoyen de "second ordre" dans l'Etat islamique [52].

    Le Prophète Muhammad a choisi comme ambassadeur de l'Islam, auprès du Négus un chrétien pour "intercéder auprès du Négus en faveur des musulmans qui avaient cherché asile chez lui contre la persécution religieuse de leurs concitoyens (les païens de la Mecque)" [53].

    Dès lors, le rôle du non-musulman peut-être un rôle représentatif et consultatif. Quelques juristes musulmans ont parlé des non-musulmans comme vizirs à côté du souverain musulman.

    Le non-musulman, comme le musulman, a le droit de choisir ses représentants et de choisir le chef d'Etat islamique.

  6. l'égalité juridique avec lesmusulmans: Le musulman et le non-musulman sont sur un pied d'égalité concernant les sanctions prévues par le droit musulman.

    Les oulémas musulmans affirment que l'atteinte au droit d'un musulman par un non-musulman ou au droit d'un non-musulman par un musulman, doit être puni en vertu du droit musulman et devant les tribunaux musulmans sans aucune distinction selon la religion de la victime ou du criminel car la justice doit être applicable à tous les sujets [54].

    Quant aux droits de Dieu [55], la majorité des oulémas musulmans exigent l'application des châtiments punissant les crimes qui portent atteinte à ces droits comme, par exemple, l'adultère.

    Par contre, quelques autres crimes contre les droits de Dieu ont suscité des avis différents, il en était ainsi de l'état d'ivresse.L'Imâm Abu Hanifa ne considère pas que le châtiment prévu pour cet état doit être applicable à un non-musulman sauf s'il incite un musulman à boire de l'alcool [56]. Un autre cas est celui de la loi du talion. Quelques Oulémas musulmans, comme al-Chafi'i et Ahmad b.Hanhal n'appliquent pas la loi du talion si un musulman tue un non-musulman [57]. D'autres oulémas musulmans comme Abu Hanifa et Ibn Taymiyya [58], exigent l'application de cette loi si un musulman tue un non-musulman. C'est ce dernier avis qui est le plus compatible avec l'idée de la justice en Islam. Et l'Etat islamique doit toujours protéger la personne, la dignité, la liberté et la propriété du non-musulman dans tous les cas.

    Enfin, le musulman et le non-musulman sont sur un pied d'égalité devant les tribunaux musulmans en ce qui concerne toute atteinte à l'ordre ou à la sécurité publics de 1'Etat islamique.

2. Les devoirs des non-musulmans

Les devoirs des non-musulmans vont de paire avec leurs droits. Ce sont:

  1. Le respect de l'ordre public: le non-musulman doit respecter l'ordre public de l'Etat islamique. Il doit s'abstenir de tout ce qui peut mettre en danger les membres de toutes les communautés. Il doit respecter les différentes religions: ses prophètes, ses livres, ses principes etc...
  2. Le paiement de certains impôts: Ces impôts sont:
    1. Le Djizia: C'est une somme d'argent que doivent payer les non-musulmans en vertu du contrat du dhimna. La base de cet impôt, qui a été instituée vers la neuvième année de l'hégire, est un verset du Coran: "Combattez-les jusqu'à ce qu'il payent directement le tribut..." [59].

      La justice sociale en Islam a imposé cet impôt comme elle a imposé al Zâkat (l'aumône légal) aux musulmans. Et, son montant est inférieur en général à cet aumône, d'une part. D'autre part, les non-musulmans bénéficient de ce dernier, par contre, un musulman ne bénéficie jamais du djizia.

      Par ailleurs, les oulémas musulmans expliquaient que le paiement du djizia exempte les non-musulmans du service militaire. Par contre si le non-musulman se porte volontaire, il ne paye pas le djizia parce qu'il a participé à la défense de l'Etat islamique [60].

      Il faut souligner aussi que le djizia n'est pas une "institution dogmatique" [61]. Or, le Calife musulman peut exempter un non-musulman de cet impôt en guise de récompense pour un acte courageux ou pour un acte bénéfique à la communauté musulmane [62].

      Seuls les hommes adultes, sains de corps et d'esprit payent le djizia. Les femmes, les enfants et les aliénés en sont exemptés [63].

    2. Le Kharadj[64]. L'expansion musulmane a posé quelques problèmes juridiques et économiques aux Califes et aux oulémas musulmans. Un de ces problèmes a été le sort des terres conquises par les Musulmans, notamment, après la conquête de l'Irak au 7e siècle.

      Le Calife Omar [65] a décidé, après des discussions avec les compagnons du Prophète Muhammad, de laisser ces terres à leurs habitants en instituant, toutefois, un impôt foncier sur ces terres [66]. C'est le Kharadj qui est: "un impôt foncier frappant en particulier la terre cultivée en fonction de ses produits et d'après la nature des plantations" [67].

    3. Les impôts commerciaux: ce sont les impôts que les non-musulmans payent en raison de leurs activités commerciales dans le pays d'Islam.

      La majorité des oulémas musulmans exigeaient un minimum qui permet d'imposer ces impôts aux non-musulmans. Le montant de cet impôt commercial est la moitié d'un dixième des biens commerciaux des non-musulmans. Et, cet impôt a été institué à l'époque du Calife Omar.

Conclusion

La base du droit musulman a été formée au IV siècle de l'hégire/XI siècle de notre ère avec différentes sources et efforts de la part des oulémas musulmans.

Les conquêtes et l'expansion des Empires musulmans ont amené ces oulémas à développer une théorie des droits et des devoirs pour ceux qui on choisi de ne pas se convertir à l'Islam, en privilégiant les juifs et les chrétiens (les gens du Livre).

Cette théorie a été en constant développement et l'histoire nous a montré une très grande souplesse de son application et elle a été caractérisée par son humanisme, d'une part, et par les privilèges accordés aux (gens du Livre), d'autre part.

Les évènements des Etats-nations après la première guerre mondiale a jeté la base d'un nouveau lien au sein des différents Etats, et parmi eux les Etats islamiques: c'est la citoyenneté qui lie désormais tous les ressortissants dans un Etat sans distinction de race, de langue, de religion etc.

Ainsi la question des musulmans et non-musulmans est dépassée aujourd'hui, car tous les membres de la société sont des citoyens, et les textes internationaux relatifs aux droits de l'homme affirment et protégent leurs droits et libertés fondamentaux.

Notes

Le texte d'une intervention lors d'un Colloque intitulé: La religion est-elle un obstacle à l'application des droits de l'homme?, organisé les 10-11 décembre 2004 à Lyon, par l'Institut des Droits de l'Homme de Lyon en collaboration avec l''Intercenter de Messina, et le Centre Arabe de l'Education au Droit international Humanitaire et aux Droits Humains.

* Président du Centre Arabe de l'Education au Droit international Humanitaire et aux Droits Humains.

[1] R. MONACO, "Minorités nationales et protection internationale des droits de l'homme" dans Amicorum Discipulorumque Liber. Problème de protection internationale des droits de l'homme, Mélanges René Cassin, tome I, Paris, Pedone, 1969, p. 176.

[2] Ch. ROUSSEAU, "Droits de l'homme et droits des gens" dans Amicorum Discipulorumque Liber. Méthodologie des droits de l'homme, Mélanges René Cassin, tome IV, Paris, Pedone, 1969, p. 318.

[3] A. BEREDIMAS, "Les droits des minorités nationales", dans La CSCE: dimension humaine et règlement des différends, Centre de droit international de Paris X – Nanterre, Paris, Montchrestien, 1993, p. 63.

[4] Voir notre article: "Les tentatives pour adopter une définition du terme "minorité" sur le plan européen", Revue Egyptienne de Droit International, vol. 57, 2001, pp. 124 et s.

[5] Voir concernant la notion d'Etat islamique notre article: "Les Etats islamiques et la Déclaration universelle des droits de l'homme", Conscience et Liberté, n° 59, 2000, pp.31 et s.

[6] L'Islam, comme l'a expliqué GARDET, régit "une communauté qui prend en charge en un seul et indissociable élan les relations de chaque croyant avec Dieu, et les relations des croyants les uns avec les autres sur le plan moral, social, politique". Voir L. Gardet, L'Islam. Religion et Communauté, Paris, Desclée de Brouwer, 1967, p. 273.

[7] Voir, concernant la distinction entre ces deux catégories de droits et la conception des droits de l'homme en Islam, M. A. AL-MIDANI, Les apports islamiques au développement du droit international des droits de l'homme, Thèse d'Etat en Droit Public, Université de Strasbourg III, octobre 1987, pp. 15 et s.

[8] Savvas, cité par A. Rechid, "L'Islam et le droit des gens", Revue des Cours de l'Académie de Droit International de la Haye,Tome 60, 1937, p. 401.

[9] Nous pressentons dans cette études les sources élaborées par les écoles sunnites de fiqh, et il y a aussi les écoles chi'ites qui sont assez riches et importants comme fiqh.

[10] Voir concernant les sources du droit musulman notre article, "Introduction au droit musulman", I Tre Annelli, les trois anneaux, revue des trois cultures monothéistes, n°7, avril 2004, pp31 et s.

[11] Nous allons utiliser, dans cette étude, l'expression (oulémas musulmans) pour désigner les juristes, les jurisconsultes, les savants et les mujtahids (théologiens-juristes musulmans qualifiés).

[12] L. MASSIGNON, "Le respect de la personne humaine en Islam, et la priorité du droit d'asile sur le devoir de juste guerre" Revue Internationale de la Croix Rouge, 1952, p. 450.

[13] Le lundi 12 (Rabi' al-'awal ) de l'an 1 de l'hégire, correspondant au 31 mai 622 de l'ère chrétienne, le prophète Muhammad arrivait à Médine quittant ainsi sa ville natale (La Mecque) pour émigrer dans cette ville, marquant ainsi le commencement de l'hégire.

[14] M. HAMIDULLAH, "La tolérance dans l'œuvre du Prophète à Médine", dans L'Islam. La philosophie et les sciences. Les Presses de l'Unesco, Paris, Unesco, pp. 15 et s.

[15] W. AL-ZUHAYLI, Les relations internationales en Islam, comparées avec le droit international moderne, Beyrouth, éd. al-Risala, 1981, p. 105 et s. (en langue arabe).

[16] M. AL-KATAN, Le séjour du musulman dans un pays non-musulman, Amiens, éd. Euro-Media, (s.d.), pp. 7-8. (en langue arabe).

[17] Voir, H. SBAT, L'asile politique en Islam, Amman, éd. Dar al-Bayark, Dar Amar, 1997, pp. 17 et s. (en langue arabe).

[18] Le Coran. Introduction, traduction et notes par D. Masson, Gallimard, Paris 1967. Chapitre 9, verset 6.

[19] A. FATTAL, Le statut légal des non-musulmans en pays de l'Islam. Recherches publiées sous la direction de l'Institut de Lettres Orientales de Beyrouth, Beyrouth, 1958, p. 72.

[20] A. K. ZIDAN, "Etude sur le traitement des minorités non-musulmanes et des étrangers en droit musulman" Journal of Law, Koweït, n° 3, septembre 1983, p. 324 (en langue arabe).

[21] FATTAL, op. cit., p. 74.

[22] Le Coran, chapitre 3, verset 64.

[23] Le Coran, chapitre 5, verset 82.

[24] Le Coran, chapitre 3, verset 32.

[25] EL. BOKHARI, L'authentique tradition musulmane. Choix de h'adiths. Traduction , introduction et notes par G.-H. BOUSQUET, Paris, Fasquelle Editeur, 1964, p. 212.

[26] A. K. KAMIL, L'Islam et La question raciale, Paris, Unesco, 1971, p. 47. (en langue arabe).

[27] Ch. CARDAHI, "La conception et la pratique du droit international privé dans l'Islam (Etude juridique et historique)", Recueil des Cours de l'Académie de Droit International de La Haye, tome 60, 1937, p.450.

[28] A. K. ZIDAN, Statuts des Protégés et des Etrangers en pays d'Islam, Bagdad, Beyrouth, éd. Al Quds, Al Risâlah, 1982, p. 117. (en langue arabe). (ci-après ZIDAN, Statuts).

[29] Abu Hassan AL-MAWARDI, un grand juriste sunnite de rite chaf'ite, mort en 450 de l'hégire/1060 de notre ère.

[30] Abu Hassan AL-MAWERDI, Les Statuts Gouvernementaux ou règles de droit public et administratif. (al-ahkam al-sultaniyya), Traduction et notes de E. FAGNAN, Paris, le Sycomore, 1982, pp. 333, 350 et 356.

[31] L'Imâm al-Chai'i, né à Gaza en 150 h., et mort en Egypte en 204 h. (767-819), a fondé cette école.

[32] L'Imâm Ahmed b. Hanbal (162-227/780-841) a fondé cette école en Irak.

[33] FATTAL, op. cit., p. 87.

[34] L'Imâm Mâlik b. Anas (93-179/711-795) a fondé cette école à Médine.

[35] L'Imâm Abu Hanifa (80-150:699-767) a fondé cette école en Irak.

[36] FATTAL, op. cit., p. 92.

[37] Le Coran, chapitre 109, verset 6.

[38] Le Coran, chapitre 2, verset 256.

[39] Le Coran, chapitre 10, verset 99.

[40] Le Coran, chapitre 5, verset 48.

[41] M. Abu ZAHRA, Les relations internationales en Islam, Le Caire, éd. Al-Dar al-Kawmiyya Llibath wa al-Nashr, 1964, p. 62, (en langue arabe).

[42] Les règles du statut personnel de différentes communautés religieuses y compris la communauté musulmane, sont applicables et respectées dans les Etats arabes aujourd'hui.

[43] L. OSTROROG Léon, "Les Droits de l'Homme et L'Islam". Revue d'Etudes Islamiques, tome V, Paris, 1930, p. 103.

[44] Le Coran, chapitre 22, verset 221.

[45] Le Coran, chapitre 5, verset 5.

[46] Abu ZAHRA, op. cit., p. 63.

[47] FATTAL, op. cit., p. 146.

[48] R. CHAMBOUR. Les Institutions Sociales, Politiques et Juridiques de l'Islam. Lausanne, Méditerranéennes, 1978, p. 165.

[49] Le Coran, chapitre 2, verset 180.

[50] M. K. NAWAZ, "The Concept of Human Rights in Islamic Law", Harvard Law Journal, vol. II, 1965, p. 327.

[51] FATTAL, op. cit., p. 146.

[52] M. A. BOISARD, L'Islam aujourd'hui, Paris, Unesco, 1985, p. 101.

[53] HAMIDULLAH, Initiation à l'Islam, Beyrouth, Damas, The Holy Koran House, 1977, p. 159. (ci-après HAMIDULLAH, Initiation).

[54] Abu ZAHRA, op. cit., p. 70.

[55] Voir, note 7.

[56] Ibid. pp. 62-63.

[57] FATTAL, op. cit. pp. 114-115.

[58] Un grand théologien et juriste (661-728/1263-1328), et disciple de l'école Hanbalite.

[59] Le Coran, chapitre 9, verset 29.

[60] ZIDAN, Statuts, pp. 156-157.

[61] HAMIDULLAH, Initiation, p. 159.

[62] Ibid., p. 160.

[63] ZIDAN, Statuts, p. 139.

[64] Le Kharadj est un impôt que doivent payer les non-musulmans en vertu d'un Idjtihad. Par contre, le djizya est imposé par le Coran

[65] Omar Inb al-Khatab: c'est le deuxième Calife (634-644) après la mort du Prophète Muhammad en 632. Le premier Calife fut Abu Baker (632-634). Omar était le conducteur et l'organisateur de la conquête islamique sur les Byzantins et les Perses. Voir, J. BURLOT, La Civilisation islamique, Paris, Hachette, Education, 1990.

[66] FATTAL, op. cit., pp. 294-295.

[67] A. M. SADDIGH, La conception islamique des droits de l'homme et leur mise en oeuvre par le droit positif des Etats arabes. Thèse d'Etat, Nice, 1979, p. 107.

back